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LES
EXPEDITIONS DE CÉSAE
EN GRANDE-BRETAGNE
ÉTUDE DE GÉOGRAPHIE ANCIENNE
Une des questions de géographie comparée qui ont donné lieu aux controverses les plus longues et les plus embarrassées est celle qui concerne le point d'embarquement choisi par César lorsqu'il se dé- cida à transporte!' les aigles romaines sur les côtes de l'Angleterre. Nous allons à notre tour aborder cel intéressant problème, dont nous avons été chercher la solution sur place, et nous nous efforcerons de faire partager notie conviction à nos lecteurs.
Mais avant tout procédons comme nous l'avons fait jusqu'ici dans nos études sur les campagnes de César, et commençons par repro- duire le récit du grand capitaine. La première de ses deux expédi- tions contre les Bretons eut lieu à la lin de sa quatrième campagne dans les Gaules. Il venait de passer avec son armée dix-huit jours au delà du Rhin, bien {iliis pour inspirer aux Germains le respect du nom romain par la grandeur et la promptitude de ses entreprises guerrières, que par esprit de conquête. Quand il crut avoir atteint son but et avoir acquis assez de gloire stérile par cette invasion d'un peu plus de deux semaines, il ramena ses légions sur la rive gauche du Rhin, fit couper le pont de bois qu'il avait laborieusement con- struit en dix joui's, et rentra sur le sol gaulois. (Lib. IV, c. xix.)
On était à la lin la de belle saison, et bien que dans ces contrées septentrionales l'hiver arrive promptement. César, qui n'ignorait pas que dans presque toutes les guerres gauloises les Bretons avaient I. 1
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fourni des secours à ses ennemis, résolut d'opérer un débarquement sur leurs côtes; quoiqu'il comprît bien que le temps de leur faire une guerre utile lui manquerait, il pensa que l'avantage seul de se montrer dans leur île et d'y faire une reconnaissance qui lui apprît quelles étaient les peuplades du pays, et lui permît d'étudier les lieux, les ports et les poinis de débarquement, compenserait bien les fatigues et les dangers d'une expédition maritime. Tout ce qu'il vou- lait savoir ainsi était à peu prés inconnu aux Gaulois ; car, à l'ex- ception des marchands, personne ne se hasardait dans ces parages redoutés, et encore pour ces marchands eux-mêmes il n'y avait de connu que la côte qui fait face à la côte gauloise. César interrogea tous les marchands qu'il rencontra, et il ne put en tirer aucune notion positive sur la grandeur de l'île, ni sur le nombre et la puis- sance respective des nations qui l'habitaient, ni sur leur manière de faire la guerre, ni sur leurs mœurs, ni môme sur l'existence de ports capables de donner asile à une flotte de grands navires. (C. XX.)
Afin d'avoir sur tous ces points des renseignements positifs, César prit le parti d'envoyer C. Yolusenus sur une galère, reconnaître la côte ennemie. Il lui donna l'ordre de hâter son exploration, tout en la faisant la plus complète possible, et de rentrer incontinent. Il se mit lui-môme en route avec toutes ses troupes pour le pays des Mo- rins, parce que de ce point la traversée conduisant en Bretagne était la plus courte. Des navires requis dans toutes les contrées du voisinage, et la flotte construite l'année précédente pour la guerre des Venètes, reçurent l'ordre de se rassembler au même point. Sur ces entrefaites, le nouveau projet de César ayant été deviné et dé- voilé aux Bretons par les marchands en relations avec ces insulaires, un certain nombre de leurs peuplades envoyèrent au conquérant des ambassadeurs chargés de lui offrir des otages pour gage de leur soumission aux ordres du peuple romain. Agréablement sur- pris par ces ouvertures inespérées. César s'empressa de faire les plus belles promesses aux envoyés bretons, et après les avoir fortement exhortés à persévérer dans leurs bonnes intentions, il les congédia eu les faisant accompagner dans leur pays par Commius qu'il avait imposé pour roi aux Atrébates vaincus. Commius était <à ses yeux un homme de valeur, de bon conseil; il le croyait ami dévoué et fidèle, et de plus l'autorité de ce personnage était très-étendue dans toutes ces contrées. César lui donna pour instructions de se rendre chez (outes les peuplades qu'il lui serait possible de visiter, de les exhorter à se fier à la bonne foi du peuple romain, enfin de leur
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annoncer sa prochaine arrivée. Quant à Voluseniis, après avoir vu le pays de loin (car il n'avait osé débarquer), il était de retour le cinquième jour après son départ, et il lit connaître à César le résul- tat de son exploration. (C. xxi.)
Pendant que César faisait forcément un séjour en ce point, pour laisser à sa flotte le temps de se mettre en état de prendre la mer, il reçut des envoyés de la plus grande parlie du peuple morin; chargés d'obtenir pour leurs compatriotes l'oubli de leur conduite ■passée, conduite qu'il ne fallait aitribuer qu'à la barbarie de leurs mœurs et à leur ignorance des coutumes romaines; ils devaient enfin les excuser du mieux qu'ils pourraient d'avoir fait la guerre aux Romains, et lui promettre d'obéir désormais à ses ordres. César reçut les messagers avec une très-vive satisfaction; car il ne voulait pas laisser d'ennemis sur ses derrières, la saison avancée ne lui per- mettant plus d'entamer une guerre sérieuse; d'ailleurs il mettait sa course en Bretagne bien au-dessus de toutes ces petites préoccupa- tions; il demanda aux Morins bon nombre d'otages, et dès qu'ils lui eurent été livrés, il accepta leur soumission.
Ayant réuni envii'on quatre-vingts vaisseaux de charge, ce qui lui semblait suffisant pour le transport de deux légions, il distribua tout ce qu'il avait en outre de navires longs ou de galères au ques- teur, aux légats et aux préfets. A cette flotte considérable il fallait ajouter encore dix-huit vaisseaux de charge, arrêtés à huit- mille par delà, et que les vents contraires empêchaient de se rendre au port où les autres étaient rassemblés. César distribua ces dix-huit vaisseaux à la cavalerie; le reste de l'armée, sous les ordres des légats Q. Titurius Sabinus, et L. Aurunculeïus Cotta, fut envoyé sur le territoire des Ménapiens et dans le pays des Morins. qui n'a- Vaient pas fait leur soumission. Le légat P. Sulpicius Rufus fut laissé avec une garnison suffisante à la garde du port. (C. xxii.)
Les choses ainsi réglées, César, trouvant un temps favorable pour opérer sa traversée, leva l'ancre à peu près à la troisième veille, après avoir envoyé sa cavalerie au Port ultérieui', avec ordre de s'embarquer sur les navires qui l'y attendaient et de le suivre. Comme cet embarquement des cavaliei's s'effectua un peu plus lente- ment que César ne l'avait calculé, il atteignit la côte de Bretagne avec ses premiers vaisseaux, environ h la quatrième heure du jour, et il aperçut les troupes ennemies en armes, rangées sur toutes les col- lines, aussi loin que la vue pouvait s'étendre.
Voici maintenant sur quelle côte il lui fallait débarquer : la mer était séparée des falaises par une plage si étroite, que du haut de
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ces falaises on pouvait aisément lancer un trait qui vînt frapper au bord de l'eau. Jugeant un débarquement en ce point impraticable, les premiers vaisseaux attendirent à l'ancre l'arrivée de ceux qu'ils avaient laissés derrière eux. On y resta jusqu'à la neuvième heure, et pendant cet intervalle les légats et les tribuns des soldats furent convoqués; César leur communiqua tout ce qu'il avait appris par le rapport de Yolusenus et leur donna ses instructions, en les avertis- sant d'exécuter ses ordres au premier signal et avec ensemble, ainsi que l'exige toute opération militaire et surtout une opération mari- time, qui ne saurait souffrir d'hésitation. Lorsqu'ils eurent été con- gédiés, le vent et la marée étant devenus favorables en même temps, au signal donné les ancres furent levées, et la flotte s'étant avancée d'environ sept mille pas à partir du point oii elle avait abordé en pre- mier lieu, mouilla devant une plage ouverte et plate. (G. xxiii.)
Il n'entre pas dans mon plan de raconter ici, d'après César, les événements détaillés de cette expédition; je me borne à prendre note de quelques circonstances dont il est bon de tenir compte, parce qu'elles ont l'avantage de fixer l'époque à laquelle il faut rapporter cette infructueuse tentative de conquête.
Après le débarquement opéré de vive force, les Bretons demandè- rent la paix et livrèrent une partie des otages que César leur deman- dait ; les autres étaient éloignés et ne devaient être fournis que plus tard et lorsqu'on aurait eu le temps de les rassembler. (C. xxvii.)
Le quatrième jour seulement après le débarquement, les dix- huit vaisseaux à bord desquels se trouvait la cavalerie romaine pu- rent sortir du Port supérieur avec une jolie brise. Lorsqu'ils appro- chaient de la côte d'Angleterre, et au moment oïi du camp on pouvait les apercevoir au large, une forte tempête vint tout à coup jeter les navires hors de leur roule, et quelques-uns furent contraints d'aller chercher un refuge dans le port même duquel ils avaient appareillé; le reste fut poussé vers la partie inférieure de l'île, plus rapprochée de l'ouest. Ils essayèrent vainement de se tenir sur leurs ancres, et comme ils embarquaient beaucoup d'eau, à cause de la grosse mer, à la nuit ils se virent dans la nécessité de regagner le large et de mettre le cap sur le continent. (C. xxix.)
Or cette nuit était celle de la pleine lune, époque des plus fortes marées dans l'Océan, circonstance encore ignorée des Romains; il en résulta que les galères, tirées à sec sur la grève, furent, remplies par le flot, et que les vaisseaux de charge, mouillés au large, fati- o-uèrent énormément ; tous chassèrent sur leurs ancres, que la plupart perdirent, et furent jetés à la côte, où plusieursse brisèrent. (G. xxix.)
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Cette catastrophe démoralisa les Romains et rendit du cœur aux Bretons, qui tenlèrent de nouveau le sort des armes. Une fois de plus il leur fut contraire, et de nouveau la paix fut demandée. César leur imposa un nombre d'otages double de celui qu'il avait d'abord exigé, et ordonna de les transporter sur le continent, parce que le jour de l'équinoxe approchait, el qu'il n'était pas prudent d'attendre que la mauvaise saison fût tout à l'ait venue pour effectuer une tra- versée avec des navires en mauvais état. (C. xxxvi.)
En utilisant les débris des navires perdus, César avait tant bien que mal radoubé ceux qui pouvaient l'être; douze vaisseaux furent sacrifiés pour remettre le reste en état de tenir la mer, et on avait fait venir du continent les rechanges nécessaires. (C. xxxi.) Le premier jour que le temps se monti-a favorable, la flotte romaine leva l'ancre à minuit, regagnant le continent sans encombre. Mais deux vaisseaux de charge ne purent atlerrir dans les mêmes ports que les autres; drossés par les courants et poussés par le vent, ils allèrent mouiller un peu plus bas. (C. xxxvi.) ■ Aussitôt à terre, les trois cents soldats environ débarqués de ces deux vaisseaux se mirent en mesure de regagner le camp; mais les Morins, que César à son départ pour l'Angleterre avait laissés dans des dispositions amicales, alléchés par l'espoir d'enlever faci- lement les dépouilles d'une poignée d'iiommes, les entourèrent avec des forces supérieures, leur enjoignant, sous peine de mort, de mettre bas les armes. Les trois cents légionnaires se groupent en cercle pour faire face à l'ennemi de tous les côtés à la fois, et se défendaient bravement; les clameurs du combat attirent bientôt six mille Morins de plus sur leurs bras. C'en était fait d'eux, si César, instruit de la trahison, n'eût incontinent envoyé toute sa cavalerie à leur secours. Ce petit corps isolé tint bon pendant plus de quatre heures, presque sans pertes ; mais dès que se montra la cavalerie romaine, l'ennemi jeta ses armes et prit la fuite; la cava- lerie se mit vigoureusement à leur poursuite et en tua un grand nombre. (C. xxxvii.)
.Le lendemain César envoya le légat T. Labiénus, à la tête des légions qu"il avait ramenées d'Angleterre, dans le pays des Morins aussi révolté. Leurs marais, desséchés par les ardeurs de l'été, ne pouvant plus leur fournir les mômes asiles que l'année précédente, presque tous tombèrent au pouvoir de Labiénus; Q. Titurius et L. Colta, qui avaient fait une expédition dans le pays des Ména- piens, après avoir dévasté leurs campagnes, coupé leurs moissons et incendié leurs maisons, abandonnèrent la poursuite des habitants.
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réfugiés dans leurs forêts inextricables, et rallièrent le camp de César, lequel établit chez les Belges les quartiers d'hiver de toutes les légions. (C. xxxviii.)
Tous ces événements s'accomplirent sous le consulat de Cnéius Pompée et de Marcus Crassus (c. i), c'est-à-dire en Tan 5o avant J. C.
Passons maintenant à la seconde expédition de César en Bretagne, et analysons-en le récit.
Cnéius Pompée et Marcus Crassus avaient été remplacés au consu- lat par Lucius Domitius et Appius Claudius (54 av. J. C), lorsque César, les quartiers d'hiver de ses légions établis, se rendit en Italie, comme il avait coutume de le faire chaque année, quand la mauvaise saison rendait la poursuite de la guerre impossible.
En partant, il donna l'ordre aux légats placés à la tête des légions non-seulement de réparer, pendant l'hiver, les vieux navires qu'il avait à sa disposition, mais encore d'en construire le plus grand nombre possible.
Avec son intelligence ordinaire, César prescrivit certaines modifi- cations de construction que l'expérience venait de lui suggérer. Ainsi, pour faciliter les embarquements et la mise à terre, il ordonna d'adopter pour la hauteur de coque un patron un peu p!us bas que celui qui était en usage dans la Méditerranée, et cela avec d'autant plus de raison qu'il avait reconnu que dans ces parages la mer était moins grosse, grâce à l'alternative continuelle des marées. Quant aux vaisseaux de charge, destinés au transport des bagages et des nom- breux animaux qu'il devait traîner forcément à la suite de son ar- mée, il les fit faire aussi un peu plus larges que les vaisseaux du même genre employés dans les mers italiennes. Et comme il voulait que tous les navires de sa flotte fussent propres au combat, il pres- crivit de leur donner la moindre hauteur possible au-dessus de la flottaison; enfin les agrès et armements nécessaires durent être ap- portés d'Espagne. (Lib. V, c. i.)
Toutes ses mesures ainsi prises pour la prochaine expédition qu'il méditait, César se rendit dans la Gaule citéricure, et de là dans l'il- lyrique, où il avait à réprimer des incursions de pirates. Il regagna ensuite la Gaule citérieure, et revint à l'armée. Son premier soin fut de visiter tous les cantonnements où avaient hivei-né ses légions; il fut agréablement surpris de trouver, grâce au zèle admirable de ses soldats, six cents navires du nouveau modèle, et vingt-huit galères dans un état de construction si avancé, qu'une flotte considérable pouvait prendre la mer en peu de jours. César, après avoir remercié et loué vivement les soldats et les officiers qui avaient
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présidé à ces immenses travaux, leur transmit ses ordres ultérieurs. Tous devaient gagner portus Itiiis, port à partir duquel il avait re- connu que la traversée était la plus commode pour se rendre en Bretagne, la côte de cette île n'étant, vis-à-vis de ce point, séparée que de trente milles du continent. Il ne laissa dans Je pays que l'indispensable en fait de troupes pour faire effectuer le mouvement de concentration de sa flotte, et lui-môme, à la tête de quatre légions délivrées de leurs gros bagages, et de huit cents cavaliers, partit pour le pays des Trévires, qui ne prenaient part à aucune des as- semblées générales des peuples gaulois, refusaient de se soumettre à la domination romaine, et passaient pour exciter à la guerre les Germains d'outre-Rliin. (C. ii.)
Les détails de cette courte expédition sont consignés aux chapi- tres III et IV du livre V des Commentaires; je me borne à y ren- voyer ceux qui ne les connaîtraient pas. Et je reviens à la seconde descente des Romains en Angleterre.
César regagna bientôt le portus Itius avec ses légions. A son arri- vée il apprit que quarante navires, construits dans le pays des Meldes, battus par une tempête, et se voyant dans l'impossibilité de faire route, avaient dû regagner le port d'où ils étaient partis. Tout le reste de la flotte était réuni et prêta appareiller. Il fut rejoint au point d'embarquement par quatre mille hommes de cavalerie venus des diverses parties de la Gaule, sous le commandement des chefs de toutes les peuplades. Craignant que quelque soulèvement n'éclatât pendant son absence, il avait résolu d'emmener avec lui, en quelque sorte comme des otages, tous ceux de ces chefs dans les- quels il n'avait pas une confiance absolue, ne voulant laisser sur le continent que le très-petit nombre de ceux dont il ne pouvait sus- pecter la fidélité. (C. v.)
L'Éduen Dumnorix, qui était arrivé au camp avec son contingent, supplia César de le laisser à terre, sous le prétexte qu'il n'avait jamais navigué, qu'il craignait la mer, et que de mauvais présages lui inter- disaient ce voyage. César refusa d'obtempérer à son désir, précisé- ment à cause de l'impurlance politique dont ce chef était revêtu, et alors Dumnorix se mit à conspirer contre l'autorité romaine. Ses menées furent bientôt dénoncées à César. (C. vi.)
Yingl-cinq jours environ s'étaient écoulés depuis l'arrivée du gé- néral romain, sans qu'il lui fût possible de prendre la mer; car un vent contraire, le Conis, qui règne presque constamment dans ces parages, ne cessait de souffler. Enfin le vent tourna et devint favorable ; l'ordre d'embarquer fut aussitôt donné au corps
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expéditionnaire, infanterie et cavalerie. Profitant des embarras in- séparables d'une pareille opération, Dumnorix, avec ses Éduens, s'esquiva et reprit en hâte la route de son pays. César, instruit du fait, fit aussitôt suspendre rembarquement et mit toute sa cavalerie a la poursuite du fugitif, avec ordre de le ramener mort ou vif. Dumnorix, promptement atteint, chercha d'abord à résister en s'ef- forçant vainement d'appeler à son aide les cavaliers qui marchaient avec lui; mais ceux-ci n'osèrent le secourir; il fut donc entouré et mis à mort. Tous les Éduens s'empressèrent alors de revenir auprès de César. (C. vu.)
Ceci fait, Labiénus fut laissé sur le continent avec trois légions et deux mille hommes de cavalerie, afin de garder les ports, de pour- voir à l'approvisionnement de l'armée et de surveiller les mouve- ments des Gaulois. César s'embarqua avec cinq légions et deux mille cavaliers; la flotte appareilla au coucher du soleil, avec une petite brise du sud-ouest ; mais le vent étant tout à fait tombé vers minuit, les navires ne firent plus de route; drossés par le courant et par la marée, ils s'en allèrent en dérive, de sorte qu'au point du jour César s'aperçut qu'il s'éloignait de la côte de Bretagne en la laissant à bâ- bord. Heureusement à ce moment la marée vint à changer, et toute la flotte fit force de rames pour aborder l'île au meilleur, point de débarquement, déjà reconnu pendant la campagne de l'été précé- dent. Les légionnaires déployèrent en cette circonstance une si louable ardeur, que, malgré la fatigue d'un exercice auquel ils n'é- taient pas habitués, ils ne cessèrent pas un instant de manœuvrer les avirons, et avec tant de succès, que les vaisseaux de charge, malgré leur lourdeur, marchèrent aussi bien que les galères. Il était à peu près midi quand la flotte aborda la côte de Bretagne. L'ennemi ne parut pas pour contrarier le débarquement, et plus tard on sut par des prisonniers, qu'à la vue de cette flotte immense (elle comptait plus de huit cents voiles) les Bretons effrayés avaient renoncé à défendre la plage et s'étaient réfugiés sur les hauteurs. (C. viii.)
César, son débarquement effectué, fit d'abord établir son camp, et apprenant par les prisonniers où l'armée ennemie s'était concen- trée, il laissa à la garde de la flotte dix coboi'tes et trois cents cavaliers, sous les ordres de Q. Aldus; lui-même, avec le reste de l'armée expéditionnaire, se mit en marche à la troisième veille, avec d'autant plus de sécurité pour la conservation de ses vaisseaux, qu'il les laissai t à l'ancre devant une côte débarrassée de rochers et ouverte. Lorsqu'il se fut avancé d'environ douze milles dans l'intérieur du pays, il aperçut les forces ennemies se disposant à lui disputer le pas-
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sage d'une rivière. Le premier combat fut heureux; la cavalerie repoussa les Brelons, qui se réfugièrent dans une sorte de place d'armes, préparée de longue main pour leurs guerres intestines, au centre d'un bois épais, et défendue par de solides abalis. La septième légion eut assez promptement raison de ce poste, qui fut enlevé sans perte sensible. (C. ix.)
Le lendemain César venait de lancer à la poursuite des vaincus trois colonnes d'infanterie et de cavalerie, lorsque des cavaliers en- voyés par Q. Atrius lui apportèrent en liâte la nouvelle que pendant la nuit précédente un très-gros temps avait désemparé et jeté a la côte presque tous les vaisseaux de la flotte. (G. x.)
César se hâta d'arrêter la marche de ses colonnes et de retourner vers la côte. En arrivant il eut le triste spectacle des perles que la dépêche de Q. Atiius lui avait signalées. Une quarantaine de vais- seaux étaient totalement perdus; mais le reste pouvait, avec force travail, être remis en état de tenir la mer. Des ouvriers furent choisis dans les légions présentes; d'autres furent requis sur le conti- nent. Labiénus eut l'ordre de faire immédiatement construire par les légions qu'il avait sous la main, le plus de navires possible. César jugea prudent de faire tirer à terre tous les vaisseaux de sa flotte, quelque dure que pût être une semblable opération, et en dix jours de travail continué jour et nuit, tous les vaisseaux furent rangés et mis à l'abri derrière des retranchements qui les reliaient à la dé- fense du camp même. Le désastre ainsi réparé, les premières disposi- tions furent reprises; la même force fut laissée à la garde du camp et de la flotte, et le même corps expéditionnaire retourna sur les lieux qu'il avait dû abandonner dix jours auparavant. César y trouva l'ennemi avec des forces considérables, placées d'un commun accord sous les ordres de Cassivellaunus, dont les États étaient séparés du territoire des peuplades maritimes par une rivière nommée la Ta- mise, à environ quatre-vingt mille pas du bord de la mer. (C.xi.)
César donne de très-intéressants détails sur les populations de la Grande-Bretagne. « L'intérieur des terres, dit-il, est resté dans la possession des aborigènes, tandis que la région maritime est entre les mains des Belges, qui passèrent dans l'île, attirés par l'amour du pillage et de la guerre. Ils ont continué à porter les noms des peu- plades auxquelles ils appartenaient lorsqu'ils quittèrent le continent, et ils se sont fixés dans le pays conquis par eux et qu'ils cultivent. Ils sont extrêmement nombreux et ont construit une multitude d'édi- fices il très-peu près semblables à ceux que l'on trouve dans la Gaule. » (C. xii.)
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Viennent ensuite une desciiplion topograpliique de l'île et quel- ques détails sur les mœurs de ses habitants, (G. xiii el xiv.)
Après avoir brièvement raconté les divers combats qu'il eut d'abord à soutenir contre les Bretons, César nous apprend qu'il se porta avec son armée sur la Tamise, afin de pénétrer dans les États de Cassivellaiinus. Cette rivière n'était guéable qu'en un seul point, et encore avec des dilTicultés sérieuses, car le gué avait été, ainsi que la rive opposée, garni de pieux aigus fichés dans le sol. Malgré ces obstacles, dont la présence fut révélée à César par les prisonniers et les déserteurs, le passage fut ordonné et exécuté par la cavalerie d'abord, puis par les fantassins, qui n'avaient que la tète hors de l'eau. Ce mouvement audacieux fut accompli avec une telle rapidité, que l'ennemi ne put soutenir le choc et se relira presque de suite et en pleine déroute. (C. xviii.)
Ce fut alors qu'eut lieu la défection des Trinobantes, qui firent leur soumission, suivie bientôt de celle des Cenimagnes, des Segon- tiaces, desAncaliles, desBibroques et des Casses. Par eux César apprit qu'il était proche de l'oppidum de Cassivellaunus, où s'étaient réfu- giés un grand nombre d'hommes suivis d'immenses troupeaux. « Les Bretons, ajoute l'illustre capitaine, donnent le nom d'oppidum à des portions de forêts difficiles, entourées d'un rempart et d'un fossé, dans lesquelles ils se réfugient pour se soustraire aux incursions en- nemies. » L'oppidum de Cassivellaunus, attaqué de deux côtés à la fois, ne fit qu'une courte résistance, et la garnison s'enfuit par un des côtés restés libres. (C. xxi.)
Après cette défaite, Cassivellaunus réussit à persuader aux quatre chefs ou rois du Canlium, Cingétorix, Carvilius, Taximagulus et Se- gonax, d'unir leurs forces pour enlever le camp naval. Leur tentative échoua devant la bravoure de la garnison, et Cassivellaunus, à bout de ressources, finit par charger Commius l'Atrébate de traiter de sa soumission. César, décidé à passer l'hiver de cette année dans la Gaule, à cause des soulèvements subits de ce pays, et songeant à la fin déjà prochaine de la belle saison, exigea des otages et fixa le tribut an- nuel que les peuplades soumises auraient à payer aux Romains. (C.xxii.).
Aussitôt (jue les otages lui curent été livrés, César conduisit l'ar- mée sur la côte, où il trouva ses vaisseaux en état. Dès qu'ils furent remis à la mer, comme il avait à traîner derrière lui une grande quantité de prisonniers, et que d'ailleurs il avait perdu un certain nombre de vaisseaux dans le gros temps qui avait assailli sa fiotte, il décida que le passage sur le continent s'effectuerait en deux fois.
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Sa bonne étoile voulut que sur une flotte si considérable, et après tant de traversées accomplies cette année et l'année précédente, il ne lui manqua pas un seul de ses transports chargés de soldats, tandis que des vaisseaux léges qui lui furent renvoyés du continent, après avoir déposé à terre les troupes qui avaient pris passage à leur bord, et de ceux que Labiénus avait reçu l'ordre de faire construire au nombre do soixnnte, il n'y en eut que très-peu qui abordèrent en Bretagne, et presque tous les autres se perdirent. Après les avoir vainement attendus pendant quelque temps, César, préoccupé de la venue de l'équinoxe et des difTicultés prochaines de toute navigation en ces parages, prit le parti d'entasser les troupes à ramener dans les seuls vaisseaux disponibles, et, profitant d'une heureuse acalmie, appareilla un soir au commencement de la seconde veille; il eut le lendemain, au point du jour, le bonheur d'atterrir avec sa flotte en- tière. (C. XXIII.)
Nous venons de reproduire tous les détails fournis par les Com- mentaires , qui doivent servir de données au problème géographi- que qu'il s'agit maintenant de résoudre. Examinons donc un à un ces détails importants, afin d'en déduire les conditions nécessaires auxquelles la solution à trouver doit satisfaire.
La première invasion romaine de l'Angleterre eut lieu vers la fin du mois d'août ou dans les premiers jours de septembre, ainsi que nous le constaterons tout à l'heure. Il s'agissait bien plus cette fois d'acquérir des notions positives sur le pays à visiter que d'y trans- porter la guerre. Il semble véritablement étrange que César allègue, au chapitre XX du quatrième livre, la profonde ignorance dans laquelle étaient plongés les Gaulois, relativement à tout ce qui concernait l'état physique et moral de la Grande-Bretagne, quand on le voit, à quelques lignes de distance seulement, parler des hardis trafiquants qui fréquentaient les parages bretons, après avoir rappelé plus haut la coopération des insulaires à presque toutes les levées de boucliers qu'il avait eu à comprimer dans les Gaules. Que conclure des résul- tats négatifs des divers interrogatoires qu'il fit subir à ces marchands si peu au fait de ce qu'était le pays qu'ils visitaient régulièrement? Que ceux-ci voulurent paraître plus ignorants qu'ils ne l'étaient en réalité, et que pour protéger les intérêts des Belges, leurs frères de sang, établis sur toutes les côtes orientales et méridionales de l'An- gleterre, ainsi que les Romains en acquirent la conviction plus tard, ils se targuèrent constamment d'une ignorance qui n'était en réalité que le masque d'une discrétion calculée et hostile. En pouvait-il être autrement? Ce serait folie de le penser; les sentiments des peuplades
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gauloises pour les nouveaux maîtres qui s'imposaient à eux par le fer et par le feu, devaient peu ressembler aux sentiments de l'amitié ; aussi fournir h ceux que l'on interrogeait l'occasion de tromper un ennemi détesté, c'était les exposer à une tentation à laquelle ils ne résistèrent qu'à moitié, puisqu'aux questions qui leur étaient adressées, ils se contentèrent de répondre obstinément qu'ils ignoraient ce qu'on leur demandait. Ne savons-nous pas que quatre ans auparavant, lors de la grande révolte des Belges, les Rèmes apprenaient à César que Galba, roi des Suessions, était en même temps roi d'une partie de la Grande-Bretagne? Peut-on admettre que cette communauté de domination avait laissé les sujets du continent sans aucune notion sur ce qu'étaient les sujets d'outre-mer? Non; il y avait évidemment là un parti pris de ne fournir à l'envahisseur aucun renseignement utile, et cette résolution, que pour notre part nous ne trouvons que louable, fut religieusement exécutée par tous, comme si elle eût été concertée.
Il fallut envoyer en éclaireurC. Volusenus avec une galère sur la côte à abordei'. Ce voyage d'exploration dura cinq jours, au bout des- quels l'officier chargé de la mission d'étudier le pays revint sans avoir osé prendre terre, et fit un rapport qui fut d'abord tenu secret. Pendant que la galère de Volusenus explorait de loin le rivage de l'Angleterre, César se mit en route avec toutes ses troupes afin de se rendre dans le pays des Morins, dont la côte était la plus rappro- chée de la côte bretonne, quod inde erat brevissimus in Britanniam transjectiis. Ce renseignement n'avait pu être caché à César, parce que par un beau temps on aperçoit très-clairement la côte d'Angle- terre, à partir de Boulogne jusqu'auprès de Calais. Concluons de plus du récit de César, qu'il n'était pas encore dans le territoire des Morins lorsqu'il expédia Volusenus vers la côte à étudier, et que ce-, lui-ci partit très-probablement d'un port placé soit à l'embouchure de la Somme, soit à celle de la Canche.
De la côte des Morins, la partie comprise entre le cap Gris-Nez et la pointe de terre fort peu saillante qui constitue le cap Blanc-Nez présente une ligne à peu près droite (lui fait face à une ligne de terre sensiblement parallèle de l'autre côté du détroit; incontestablement c'est entre ces deux côtes que la distance entre la Bretagne et le con- tinent est la plus petite. Première présomption pour chercher entre les caps Gris-Nez et Blanc-Nez le point d'embarquement de l'armée de César.
Pendant (lue ces préparatifs, qui ne prirent que quelques jours, s'effectuaient, les marchands interrogés par César s'empressèrent
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de passer en Bretagne et de prévenir les habitants de la descente projetée, si bien qu'à peu près au môme moment où Volusenus ren- trait auprès de son général, celui-ci recevait la visite d'un certain nombre de chefs d'outre-Manche, qui venaient spontanément lui pro- poser d'accepter la soumission de leurs compatriotes, en lui offrant des otages pour gages de leur bonne foi. Ces offres étaient-elles sin- cères ou cachaient-elles un piège? Je ne doute pas un seul instant que cette dernière alternative ne doive être prise pour la vérité. Tout à l'heure nous verrons pourquoi. Quoi qu'il en soit, César ac- cueillit avec bonheur les envoyés bretons, qui n'avaient très-proba- blement d'autre but que celui de lui inspirer une sécurité assez grande pour le décider à se jeter, qu'on me paose cette expression triviale, dans la gueule du loup. Le chef Commius, que César croyait son ami, et dans lequel il avait grande confiance, parce qu'il l'avait fait roi des Atrébates après la soumission de cette nation, fut chargé d'accompagner en Bretagne les envoyés congédiés, à cause de la grande autorité dont il jouissait dans le pays, cujusque auctoritas in us regionibus magni habebatur. Singulier ami, l'on en conviendra, que celui qui savait fort bien qu'une partie de ses compatriotes était éta- blie à demeure en Bretagne, où elle avait continué à porter son nom d'Atrébates, et qui n'en disait mot à César! Comment Commius n'avait-il pu donner aucun renseignement au général romain sur les populations qu'il désirait connaître avant de se risquer sur leurs terres, lui dont les fils Eppillus, Yericus et Tinco furent après lui rois de toute la partie sud de l'île, ainsi que l'attestent les monu- ments numismatiques? Concluons-en qu'une fatale comédie se jouait dans la tente de César, et que Commius n'y prit pas une part mé- diocre. Nous allons voir bientôt se manifester les indices frappants de cette perfide machination.
Voilà César plein d'espoir déjà dans le succès de son entreprise et qui, pour comble de bonheur, reçoit des députés de la plupart des pa^'imorins, qui viennent, à leur tour, lui faire de belles protestations de soumission et de fidélité. Ajoutons bien vite qu'il eut la prudence de se faire livrer un grand nombre d'otage, avant d'accepter les hommages qu'on lui apportait.
Quatre-vingts vaisseaux de charge, nombre suffisant pour trans- porter deux légions (car César n'emmenait avec lui que deux lé- gions), des galères placées sous les ordres du questeur, des légats et des préfets, voilà ce dont se composait la flotte réunie au port d'em- barquement. Dix-huit autres vaisseaux de charge étaient à l'ancre à huit milles de là. dans un port ultérieur, c'est-à-dire placé au
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nord du premier. Ils avaient dû forcément y rester, à cause de la persistance d'un vent contraire. Ces dix-huit vaisseaux furent réser- vés au transport de la cavalerie, à laquelle il était très-facile d'aller les chercher sans fatigue.
Le reste de l'armée, sous les ordres de Q. Titurius Sabinus et de L. Arunculeïus Cotla, fut chargé d'occuper le territoire des Ména- piens et les pagi morins qui n'avaient pas fait acte de soumission. Enhn le légat P. Sulpicius Rufus fut laissé h la garde dû port avec un détachement suffisant.
De tout ce qui précède découlent plusieurs conséquences qui vont commencer à déterminer les conditions auxquelles doivent satisfaire les lieux reconnus pour être le théâtre de ces faits : •
1° Le port d'embarquement doit être cherché entre les caps Gris- Nez et Blanc-Nez, et il faut qu'il ait pu donner asile à une flotte im- portante ;
2° Au nord de ce port et à huit milles (soit douze kilomètres envi- ron) doit se retrouver \c porhis ulterior dans lequel avaient relâché les dix-huit vaisseaux de charge destinés à l'embarquement de la cavalerie;
3° Enfin il faut, s'il est possible, déterminer un emplacement re- tranché dans lequel a dû se placer, à proximité du port d'embarque- ment, le poste de surveillance commandé par P. Sulpicius Rufus.
Poursuivons maintenant notre étude du récit de César.
Quand tout fut prôt, la flotte profita du premier beau temps pour prendre la mer. Naturellement elle partit lorsque la mer était déjà haute, ce qui arriva à peu près h la troisième veille, c'est-à-dire vers minuit (1).
César atteignit la côte opposée environ à la quatrième heure du jour, c'est-à-dire vers dix heures du matin, et le premier spectacle qui le frappa fut sans doute celui auquel il s'attendait le moins. Devant lui s'étendait à perte de vue, à droite et gauche, un rideau de falaises dont toutes les crêtes étaient garnies d'une immense multitude ar- mée. Entre le pied de ces falaises et la mer la plage était si étroite que les traits lancés d'en haut pouvaient aisément atteindre le bord de l'eau. Il y avait loin de cette réception à celle sur laquelle César se croyait en droit de compter, grâce à l'ambassade bretonne qu'il avait reçue quelques jours auparavant.
Essayer en ce point un débarquement de vive force eût été une
(1) La nuit, partagée en quatre veilles de trois heures cliacune, commençait ;i six lieurcs du soir et finissait à six heures du matin.
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insigne folie, piiisqvc tout le monde y eût infailliblement péri, sans pouvoir faire l'ombre de résistance. César comprit-il dès ce moment qu'il avait été joué? c'est probable; toutefois il n'a pas voulu en convenir, ainsi que nous le constaterons tout à l'heure.
Dans cette fâcheuse conjoncture il était bon de se concerter; lors- que tous les navires retardataires furent ralliés, la flotte mit à l'an- cre, les chefs de l'armée expéditionnaire furent mandés à bord du navire sur lequel était monté César, et là un conseil de guerre fut tenu, pour ainsi dire sous les yeux des Bretons. Ce ne fut qu'à ce moment que les légats et les tribuns des soldats eurent communica- tion du rapport de Volusenus, et reçurent les ordres les plus sévères et les plus précis sur l'ensemble parfait que devait comporter l'opé- ration difficile du débarquement. Sans aucun doute, ce rapport si- gnalait à peu de distance du point où la Hotte était réunie une plage basse et douce, sur laquelle il était très-facile de prendre terre. Cela est d'autant plus certain que, san^ hésitation aucune, aussitôt que la marée eut renversé et que la direction du courant eut changé par conséquent, la Hotte entière leva l'ancre et se dirigea vers un point situé aune dislance de sept mille pas environ du premier point où la côte avait été abordée. Là on mouilla devant une plage ouverte et fort douce. Nous étudierons plus tard la question topographique relative au séjour de César en Grande-Bretagne.
Les Bretons, qui du haut de leurs falaises surveillaient attentive- ment les mouvements de la flotte ennemie, n'eurent pas de peine à deviner les intentions de César. Leur cavalerie et leurs essédaires (c'étaient des hommes qui combattaient à volonté du haut d'un cha- riot nommé essede, ou qui mettaient pied à terre pour attaquer ou résister, suivant les circonstances, mais toujours à portée de l'es- sede) furent envoyés en hâte occuper la plage qui allait être enva- hie, et l'infanterie elle-même les suivit avec assez de promptitude pour que toutes les forces bretonnes fussent réunies sur le point me- nacé, au moment même où les Romains allaient tenter leur des- cente.
Le débarquement fut très-difficile, très-vivement disputé; mais en fin de compte il réussit, et les Bretdus se dispersèrent en fuyant vers l'intérieur des terres. La cavalerie du corps expéditionnaire était encore sur le continent pendant cette journée; César ne put donc tirer aucun parti de la victoire, et dut rester sur la côte qu'il n'avait occupée qu'avec tant de peine.
Aussitôt vaincus, les Bretons renouvelèrent l'envoi de députés qui déjà leur avait si bien réussi. Ceux-ci étaient chargés d'offrir
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encore une fois à César des otages et une soumission absolue ; l'Atré- bate Commius les accompagnait. Quant au rôle joué par celui-ci, voici ce que nous en dit César. On se rappelle qu'il avait chargé ce per- sonnage de visiter les peuplades bretonnes et de les disposer à faire un bon accueil aux Romains. Aussitôt arrivé, les Bretons s'emparè- rent de lui et le jetèrent dans les fers, dont il ne fut délivré qu'a- près la victoire remportée par César le jour du débarquement. Tout cela était probablement une des scènes de la comédie qui devait livrer César, à la tête de deux légions seulement, à ses ennemis acharnés, et je doute fort que la captivité de Commius ait été bien pénible.
Quoi qu'il en soit, la résistance violente faite aux Romains fut mise sur le compte de la multitude, et l'on supplia le vainqueur de pardonner à cette multitude plus imprudente que coupable. C'est ici que nous croyons trouver un indice de la ferme volonté de César de ne pas laisser voir qu'il s'était laissé abuser par des protestations de dévouement dont il devait se méfier d'autant plus qu'elles étaient plus inattendues. Aux députés bretons. César se plaignit d'abord de ce qu'après lui avoir envoyé spontanément, sur le continent, des ambassadeurs chargés de lui demander la paix , on lui avait fait une guerre sans prétexte; il ajouta qu'il pardonnait à l'imprudence, mais il exigea que de nouveaux otages fussent remis entre ses mains. Partie de ces otages fut immédiatement livrée, partie fut promise sous peu de jours, parce que les personnages demandés habitaient des localités fort éloignées.
Franchement, il n'est pas possible que César se soit laissé endor- mir par de semblables cajoleries; un homme comme lui ne pouvait pas être dupe deux fois de suite de Tastuce de ses adversaires , et je suis convaincu, pour ma part, que s'il a été dupé la première fois , il ne l'a pas été la seconde, tout en maintenant dans son récit la bonne foi des dépulations reçues par lui, dans le seul but de mettre son amour-propre à couvert.
Le quatrième jour après le débarquement, la flottille des dix-huit transports chargés de cavalerie parut en vue du camp; mais un fort mauvais temps s'éleva tout à coup et dispersa les navires romains. Les uns furent obligés d'aller chercher un refuge dans le port même d'où ils étaient partis; les autres furent poussés au loin dans le sud-ouest; ceux-ci essayèrent vainement de se main- tenir à l'ancre sur la côte d'Angleterre, et ils durent regagner le continent, pour échapper à une perte certaine. La nuit qui suivit ce quatrième jour après l'arrivée de César en Bretagne était celle
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de la pleine lune qui précéda l'équinoxe d'automne de l'année 55 avant Jésus-Clirist. Or le calcul nous apprend qu'en cette année la pleine lune qui précéda l'équinoxe eut lieu dans la nuit du 30 au 31 août (vers une heure du matin) ; le départ de César avait eu lieu à la troisième veille, quatre jours auparavant; c'est donc dans la nuit du 26 au 27 août, entre minuit et une heure, qu'eut lieu l'appareil- lage de la flotte romaine.
Revenons à la fatale nuit de la pleine lune. Les galères qui avaient été tirées sur la grève furent remplies par le flot; les transports fu- rent jetés à la côle, et plusieurs d'entre eux s'y brisèrent. Il n'en fal- lait pas tant pour donner au mauvais vouloir des Bretons une nou- velle occasion de se faire jour. Peu à peu les chefs qui fréquentaient le camp romain disparurent, les contingents de guerre congédiés fu- rent convoqués en secret et une attaque